Violences urbaines: les nouveaux enjeux
Ces derniers temps, de violents affrontements ont eu lieu dans plusieurs villes de France, suite au décès de Rémi Fraisse lors d’un heurt avec les forces de l’ordre sur le site de Sivens.
Quelles sont les réponses possibles des collectivités face à ces violences ? Quels sont les risques liés à ces violences ? Les émeutes engendrant de la casse et des arrêts de circulation, quel sera leur coût ?
1/ Définition
« Dans les sociétés modernes, on appelle violences urbaines un phénomène d’explosion de violences collectives […] de la part de populations qui s’estiment défavorisées ou humiliées par les institutions. Ces violences sont souvent déclenchées par des faits perçus comme des abus d’autorité, notamment la mort d’un individu au cours d’une supposée bavure policière. »[1]
La médiatisation, parfois excessive de ces violences, répercute leurs effets traumatisants, et provoque des scissions d’opinion au sein de la population, créant un climat d’insécurité latent.
« Les experts avancent plusieurs explications de ce phénomène, contradictoires ou complémentaires, tandis que certains commentateurs rejettent toutes les explications ou tentatives d’explication, par crainte de les voir valoir comme une victimisation et donc une légitimation des fauteurs de troubles. »[2]
Les pouvoirs publics ayant pour obligation de ramener l’ordre au plus vite, selon le pacte social, sont confrontés à des groupes plus ou moins organisés, avec des revendications diverses, exprimant aveuglément un mécontentement parfois couvé de longue date.
2/ Les individus concernés et les lieux de ces violences
Ces groupes sont variés, et sont rejoints, à plus ou moins court terme, par des bandes de casseurs, qui n’ont généralement pas de lien avec les revendications principales. Ceux-ci provoquent les forces de l’ordre, essaient d’aller « au contact », comme le dit le jargon, afin de faire réagir les cordons de sécurité. Les casseurs sont en marge des manifestants, et les dégradations qu’ils font subir aux propriétés publiques ou privées ne font pas partie de la revendication principale. Il ne faut pas non plus les confondre avec les « hooligans », qui sont, eux, des supporters de sports et dont les violences se font généralement à l’encontre des supporters d’un groupe sportif opposé.[3]
Ces violences urbaines, comme l’indique leur terminologie, sont évidemment confinées à la ville, et ce phénomène est relativement récent, étant donné que les cités sont construites pour repousser les affrontements à l’extérieur, pour des raisons évidentes de facilitation du commerce. Au Moyen-Âge, par exemple, les jacqueries avaient lieu à la campagne, lieu considéré de toute façon comme sauvage et propice à toutes les exactions.
Cependant, depuis un exode rural massif, les villes sont le nouveau départ des violences, menant à des émeutes, des révoltes et parfois à des révolutions (Paris, notamment, capitale à la population instable et prompte à tous les débordements). L’urbanisation a donc été un facteur du confinement de la brutalité, à laquelle on oppose les forces de l’ordre, sous toutes leurs formes.
Selon Max Weber, l’Etat se définit comme une entreprise de monopolisation de la violence physique légitime. C’est pourquoi l’apparition de groupes utilisant une forme de contestation somatique (et non plus par recours judiciaire, par voie orale ou écrite) est gravement déstabilisant du point de vue politique : cela remet en question la capacité de l’instance étatique à défendre les citoyens, ce qui est le fondement même du pacte social.
Parallèlement à l’exode rural, on érige en périphérie des villes de grands complexes industriels pour accueillir en quantité suffisante les ouvriers et leurs familles. Ce phénomène s’accentue après-guerre, avec la construction par les autorités de grands ensembles où logent des populations démunies et en voie de paupérisation. La population périurbaine devient donc celle en marge des villes, la « banlieue », un espace défini dès le Moyen-Âge, situé à une lieue de la ville et où s’arrête l’application du ban, le pouvoir seigneurial. Exclue de la Cité, et donc de la civilisation, la banlieue est dans l’inconscient collectif un territoire de non-droit. Les violences présentes dans les banlieues sont à tout moment exportées par les transports en commun, qui sont également récipiendaires des agressions.
Les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises sont à ce jour la plus critique des situations, et ont amené le gouvernement Villepin à proclamer l’état d’urgence, pour la première fois en France métropolitaine depuis 1955.
3/ Les cibles de ces violences Outre les vitrines des commerces, les trois cibles principales sont :
- L’école. De nombreux cas de violences scolaires sont recensés au cours des années : assauts physiques avec et sans armes, insultes, menaces, racket, viols, attouchements et dégradations.
- Les transports urbains, dont les fauteuils sont couramment lacérés, les vitres gravées, les portes recouvertes de tags. La SNCF consacre à elle seule cinq millions d’euros annuellement au nettoyage de ces tags.
- La police et les pompiers, régulièrement pris à partie ou « caillassés », déplorant tous les jours des outrages à agent.
4/ La réponse publique et ses difficultés
Selon le politologue Sebastian Roché, l’État devrait apporter une réponse nette au problème de la violence des villes s’il veut rester crédible. La solution oscille tantôt entre répression et prévention, avec, en France, un accent fort sur la seconde, en tout cas jusque récemment. Elle nécessite en tout cas l’intervention d’une justice forte. Elle demande également, en tant que politique publique, une évaluation efficace, ce qui signifie un outil statistique efficace. Mais toutes les violences ne sont pas quantifiables. Aussi, depuis quelques années, des enquêtes de victimisation sont réalisées pour mieux appréhender qualitativement les phénomènes de violence. Elles consistent à interroger les personnes sur les incidents dont elles auraient été victimes et qu’elles ont ou non déclarés à la police. Ces enquêtes existent de longue date aux États-Unis, et depuis peu en France, dans le cadre de l’International Crime of Victimization Survey. On signale aussi que les chiffres restent des moyennes qui peuvent masquer d’importantes disparités géographiques et sociales. En fait, plus qu’à une augmentation de la violence, c’est à une diversification des victimes et des institutions visées à laquelle on assisterait.
- CONCLUSION
Les violences urbaines sont donc liées à des conditions d’inversion de la norme. Les auteurs de ces violences sont, tout au long du procédé d’agression, l’incarnation de l’autorité, de l’ordre établi sur leur territoire. Ces conditions d’inversion de la norme ont d’énormes conséquences sur l’espace environnant, qui est aussi celui des tiers : sur la ville, sur son mobilier urbain, sur les transports, etc.
En tant que victimes directes ou indirectes de ces violences, les tiers souffrent souvent bien moins de la douleur infligée que de leur incapacité à réagir de façon appropriée à la violence qui l’inflige, c’est-à-dire en fait, le plus souvent, par la violence. Ainsi, une grande partie des traumatismes dont ils souffrent après avoir été agressés d’une manière ou d’une autre relève en fait de leur extrême loyalisme à l’égard de l’État, lequel leur enjoint de ne pas céder à la violence même quand celle-ci s’impose à eux. Ils peuvent dès lors exiger des autorités en retour à ce qu’ils ressentent comme un sacrifice une reconnaissance qui puisse les instituer en tant que victimes, victimes éventuellement qualifiées pour parler et agir contre la source de la violence qui les a atteints. Ce serait là l’ultime défi que posent les violences urbaines aux pouvoirs publics. En dégradant le cadre de vie de tous, elles transformeraient chacun en producteur de doléances auxquelles les autorités devront tôt ou tard répondre si elles ne veulent pas perdre la confiance des citoyens.
[1] Wikipédia : Violences urbaines <http://fr.wikipedia.org/wiki/Violences_urbaines>, consulté le 03/11/2014
[2] Id.
[3] Cf. « Pourquoi cassent-ils ? Présentation des discours et motivations des casseurs », par G. Ricordeau, 2001
Tags: 2014, banlieue, casseurs, manifestations, risques urbains, sécurité, Villes, violences urbaines